Voilà peu nous célébrions la Toussaint. Bien avant que ne débarque la chasse aux bonbons costumée en vogue outre-Atlantique, nos aïeuls célébraient déjà ce passage, en fleurissant les tombes et en ravivant la mémoire des personnes disparues. Nos ancêtres celtes célébraient déjà Samhain, date du Nouvel-An et la période où le voile avec les esprits est le plus ténu. C’est donc non seulement le moment idéal pour faire le bilan de l’année écoulée, mais aussi pour entrer en contact avec l’autre-monde, afin de lui demander guidance et soutien pour l’année à venir. Outre ces considérations païennes, la période d’Halloween annonce l’entrée dans une période d’ombre, où la nuit domine le jour et où le repli sur soi, dans le cocon de son intérieur est naturellement de mise. Après les dernières récoltes de l’automne, nous nous préparons aux frimas de l’hiver.
Quel que soit le nom qu’on lui donne, la fête des morts se célèbre partout dans le monde. Cette célébration évoque forcément les proches perdus et m’amène inévitablement à m’interroger sur ma propre mortalité et ma propre vie. Car si je pense à ma mort, je fais bien vite aussi le bilan de ma vie. Que voudrais-je faire encore ? Quels seraient mes regrets ? Quelles relations devrais-je pacifier avant de partir ? Bref, quel est mon rapport à la mort ? Les anciens veillaient les morts, mais cela ne se fait plus dans notre culture occidentale. Les morts sont cachés, remisés à la morgue et le cercueil est bien vite refermé pour ne pas heurter les sensibilités. A quelle moment nous sommes-nous coupé de la mort, la nôtre comme celle d’autrui ? Pourquoi le décès, qui était auparavant quelque chose d’immuable et naturel habitant le quotidien, est devenu un des gros tabous de notre société occidentale ? Est-ce les progrès de la médecine qui, prolongeant la durée de vie, nous a fait oublié qu’avant même notre premier souffle, nous sommes mortels ? En tant que doula de fin de vie, je me questionne sur le moment et les raisons qui ont fait basculer la mort dans un non-dit, un tabou. Face à la mort, on chuchote, on se fait discret, on évite d’en parler devant les personnes concernées. Et si la mort était aussi drôle, bruyante ou vécue avec une certaine légèreté. Il existe des clowns de fin de vie ; beaucoup de personnes mourantes souffrent des non-dits face à leur départ et apprécie que l’on discute clairement des choses. Bien sûr, chaque vécu est différent et il est souvent influencé par notre éducation. Si dès l’enfance nous étions rééduqués à la mortalité (la notre et celle des autres), ce processus naturel pourrait-il être intégré de manière plus saine dans notre quotidien ? Vouloir cacher la mort aux enfants pour les préserver laisse souvent plus de traces que de les accompagner dans ce vécu, en leur laissant la place à l’expression. Je suis toujours heurtée de voir des enfants célébrer halloween et sa cohorte de monstres variés en ignorant le sens profond de ce rite et en ne pouvant pas toujours échanger sincèrement sur la fin de vie dans leur entourage. Pourtant, tous les enfants que j’ai rencontrés font preuve d’une grande sagesse face à mort et d’une excellente résilience. Si la Toussaint était justement l’occasion d’évoquer tout cela en famille, de prendre un temps pour repenser aux êtres qui nous sont chers, les morts comme les vivants ? Un temps pour se réunir et pour célébrer les présents, les absents et ceux à venir ? Un temps de pause, un temps de retrouvailles, comme une brèche dans le tumulte de la vie. Un instant pour puiser dans la force du clan afin d’affronter les nuits à venir.
J’ai une certitude : nous allons tous mourir ! J’ai donc cessé de m’angoisser face à cette inévitabilité et j’essaie simplement de profiter des jours qui me sont offerts tout en honorant ceux qui m’ont permis de fouler ce sol et de devenir qui je suis. En espérant tout de même que la faucheuse viendra me rendre visite le plus tard possible pour continuer à savourer encore un peu l’essence de la vie.